"Ceci n'est pas une pipe", célèbre tableau de Magritte qui représente... une pipe ! Bien sûr, on ne peut prendre ce tableau et y mettre du tabac pour le fumer. Ce n'est vraiment pas une pipe mais bien un tableau. Les mots ne sont donc vraiment pas les choses. Ce ne sont que des mots. Mais les mots structurent notre pensée. Pour le meilleur et pour le pire. Ils nous servent à tenter d'appréhender le réel, les diverses expériences que nous faisons du réel, "la réalité rugueuse à étreindre" comme disait Rimbaud.
La méditation aussi vise le réel. Idéalement sans mots, dans le silence intérieur de notre présence. Les mots alors n'interviennent, après coup, que dans le partage de cette expérience. Avec toutes leurs limites, leurs imperfections, leurs fragilités, leurs approximations. Les mots ne sont pas les choses, non, comme nous ne sommes pas nos pensées. S'identifier à ses pensées, c'est s'identifier à l'ego, au mental. Le mental est conditionné, façonné, construit par nos parcours de vie : toutes ces chaînes qui nous enferment dans le "formatage" d'une servitude volontaire la plupart du temps inconsciente. La méditation vise au contraire le réel, ce qui est, tel que c'est, et non tel qu'on voudrait qu'il soit.
S'identifier à ses pensées est la première de toutes ces erreurs dont il nous faudra se défaire pour entrer dans la pratique méditative. Les mots ne sont pas les choses, non, mais ils peuvent cependant nous guider, nous dévoiler ce que nous ignorerions sans eux. Ils peuvent nous aider à dessiner un monde plus juste, plus beau, plus aimant. A la condition bien sûr de ne pas être le fruit de nos agitations mentales, de nos conditionnements divers et variés. A la condition d'être le fruit de notre expérience du réel et non plus seulement de nos projections, de nos a priori, de nos jugements formatés et préjugés plus ou moins conscients. A la condition d'exprimer véritablement le réel comme cherche à le faire la poésie, car le réel ne se pense pas, il s'éprouve dans le corps et par le corps. Le réel est un ressenti non contaminé par le mental. Son contact nous décille et nous ouvre les yeux. Nous pouvons alors laisser surgir les mots qui l'expriment et non plus projeter sur lui nos pensées formatées. Nous apprenons ainsi à bien nommer les choses, c'est le sens du mot : bénédiction, "bien dire" . A contrario "mal nommer les choses (comme le dit Albert Camus) c'est ajouter au malheur du monde". "Mal dire" les choses est une malédiction. Une malédiction qui aujourd'hui se propage comme un virus au cœur de nos sociétés malades.
Les mots ne sont pas les choses, non, mais ils tentent, relèvent le défi, bien difficilement et jamais définitivement, comme Sisyphe avec son rocher, d'exprimer, de dire, d'affirmer notre commune humanité, et ce partage de vie que nous faisons à chaque seconde avec tout le vivant qui nous entoure.